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09 01 2008 - L'Iran abrite une communauté chrétienne peu connue
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http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2325365&rubId=4078
08/01/2008 19:20
edouard italarmena
Près de 130 000 chrétiens vivent encore en Iran. La communauté arménienne d'Ispahan, vieille de 400 ans, essaie de retenir ses jeunes tentés par l'exil
Communauté arménienne catholique en Iran (Photo Johannes/Ciric).
La mariée est en retard. Il est 5 heures du soir, dans l’enceinte de l’église Sainte-Marie. Une vingtaine d’hommes et de femmes non voilées, à la mise impeccable, prêtent à peine attention à l’appel à la prière du soir, qui bruisse des haut-parleurs des mosquées environnantes. Nous sommes sur la rive sud d’Ispahan, une ville située au centre de l’Iran, à 340 km au sud de Téhéran. Au cœur du quartier Jolfa, une bulle chrétienne dans l’Iran chiite.
Aujourd’hui, on célèbre un mariage à Sainte-Marie, une adorable église arménienne, un peu surchargée : les trompes de sa coupole sont byzantines, ses fresques d’inspiration vénitienne, ses mosaïques et ses tapis persans.
La communauté chrétienne de Jolfa, de rite arménien grégorien (du nom de saint Grégoire l’Illuminateur, qui baptisa le souverain arménien en 301) s’est implantée ici il y a quatre cents ans. Abbas Ier, souverain de l’Iran safavide, attachait ainsi à sa capitale ces commerçants réputés.
Les jeunes du quartier se souviennent encore de l’époque, un brin mythique, où les musulmans ne s’aventuraient pas au sud du fleuve Zâyandeh Rud, dans le quartier dévolu aux Arméniens. Aujourd’hui, le marchand de sucreries de la place Jolfa est musulman, comme l’épicier d’à côté et une bonne partie du voisinage.
"Nous vivons en bonne intelligence", insiste le P. Tcharian
« Nous vivons en bonne intelligence, insiste le P. Tcharian, l’un des trois évêques de l’Église grégorienne d’Iran. Nous sommes intégrés depuis des siècles et obéissons aux lois de la République islamique. » Il rappelle les apports des Arméniens au pays : la première imprimerie d’Iran a fonctionné ici, pressant des caractères grégoriens. Son assistant notera que la communauté a donné trois « martyrs », selon la terminologie iranienne, dans la guerre contre l’Irak (1980-1988). Ses rapports avec les croyants des autres Églises chrétiennes d’Iran (catholiques, assyro-chaldéens) sont « cordiaux ».
Mais lorsqu’on demande quels genres de liens il entretient avec les protestants évangéliques, dont certaines communautés accueillent des convertis, qui risquent la mort selon la loi islamique, le P. Tcharian bat en retraite : « Nos rapports sont protocolaires. » À ses côtés, six autres prêtres sont établis ici. Le plus jeune a été ordonné il y a deux ans. Marié, le P. Tcharian sait qu’il ne pourra pas assumer de fonctions plus hautes dans son Église, comme le prescrit le code canonique de cette confession chrétienne.
Problème insoluble d’une foi ancrée dans un territoire étroit
Depuis la révolution islamique de 1979, on estime que près de la moitié des quelque 300 000 chrétiens d’Iran, majoritairement arméniens, ont quitté le pays. La communauté de Jolfa demeure comme un îlot. Les libertés que lui accorde la République islamique – boire du vin, ne pas porter le tchador et s’autoriser décolletés et robes légères pour les femmes, danser en couples, faire du sport en groupes mixtes –, elle les savoure en vase clos. Et les 13 églises du quartier fédèrent ses activités.
Elle préserve aussi jalousement ses origines ethniques : si les mariages mixtes sont possibles, « personne n’accepte de parler à ceux qui épousent un chiite. Ils doivent quitter la communauté », explique Zaven, un jeune homme plutôt ouvert sur d’autres sujets. Sa foi reste ancrée dans ce territoire étroit, ce qui ne va pas sans poser certains problèmes.
Ainsi, le chef de chœur, qui vient régulièrement d’Arménie depuis quelques années, a du mal à « faire vibrer » ses chanteurs selon le timbre d’Erevan, la capitale arménienne. Mina, une mère de famille, fait un constat similaire avec ses cousins émigrés aux États-Unis, à Glendale, une ville de la banlieue de Los Angeles accueillant une forte communauté arménienne : « Ils ne me comprennent plus quand on se parle au téléphone. » Comme Zaven, les jeunes sont aussi nombreux ici à rêver à de plus grands espaces.
Pas de discriminations flagrantes mais une liberté encadrée
« Je leur parle du Liban, explique pourtant le jeune prêtre, Isaiah, 22 ans. J’essaie de leur faire comprendre que ce n’est pas la liberté de porter certains vêtements dans la rue qui importe, que Dieu peut nous aider à rester ici. S’en aller, ce n’est pas une valeur en soi. »
Le P. Isaiah, a été ordonné au Liban, à Antélias, l’un des deux cœurs de l’Église grégorienne, avec Etchmiadzine, le « Saint-Siège » arménien. Il n’est pas d’ici, pas même arménien, et se demande parfois pourquoi Dieu l’a envoyé si jeune en République islamique. Il s’est lancé dans l’animation d’une série d’ateliers avec les jeunes du quartier, pour leur rappeler la solidité de leur communauté. « Ils vivent dans une culture différente, islamique, qui considère comme des péchés certains de leurs plaisirs. Nos jeunes manquent d’occasions de se relâcher, ils gardent leurs problèmes en eux. Ils s’écartent plus facilement de leurs valeurs. »
Ces jeunes ne souffrent pourtant pas de discriminations flagrantes. Le culte est célébré chaque dimanche. Dans la rue, de nombreux jeunes portent ostensiblement la croix sur le torse. Ils ont des amis iraniens à la faculté ou au travail, sans heurts. Un député les représente au Majlis, le Parlement iranien. La communauté d’Ispahan dispose aussi de cinq écoles, collèges et lycées réservés, d’un département d’arménien à l’université publique, de centres de catéchisme. Et dans la cour de récréation de l’école Armen, les voiles des petites filles traînent sur leurs épaules ou restent accrochés aux patères.
"Il y a une vraie communauté en Amérique"
Les chrétiens peuvent certes être employés dans les administrations ou l’armée, mais ils ne peuvent pas espérer y occuper de très hauts postes. Selon Zaven, la plupart de ses amis souffrent de discrimination à l’embauche. Sa thèse scientifique terminée à l’université d’Ispahan, il partira aux États-Unis ou au Canada. Comme son ami Nerces, 25 ans, soudeur au chômage, qui s’envole d’ici à quinze jours pour Vienne.
« J’ai mon visa Schengen. Là-bas, il faut environ trois mois avant d’obtenir celui pour les États-Unis. » Il doit retrouver à Los Angeles son petit frère, installé depuis un an, qui travaille dans le bâtiment et qui lui a enlevé déjà quelques illusions sur le rêve américain. « Le travail sera dur, mais là-bas je serai libre de m’amuser comme je le veux. » Plus tard, Nerces annoncera son départ au P. Isaiah.
Ce dernier ne lui adresse pas de réprimande et lui souhaite bonne chance, mais son sourire est un brin désabusé. « Je n’ai pas peur pour eux, explique-t-il. Il y a une vraie communauté en Amérique. Une vraie foi, on le voit par la télévision satellite. Mais ici aussi nous avons la foi et une histoire vieille de quatre cents ans qui mérite de vivre. »
Louis IMBERT, à Ispahan (Iran)
edouard italarmena
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